Les coups s’enchainent et je dois dire que j’ai beaucoup de chance. Paire d’As, de dames, etc. Je touche des mains et mon tapis monte petit à petit. Rapidement, j’ai amassé $280 en face de moi, je suis donc largement gagnant sur la soirée. Je joue plutôt bien :
J’ai A4 de trèfles depuis la grosse blind quand je fais le call à $7 de la relance du joueur immédiatement à ma gauche, un régulier dont je me souviens et qui sait ce qu’il fait. Nous sommes deux à voir le flop, qui tombe A8Q, avec deux cœurs. J’ai touché mon As, mais ca n’est pas la bonne couleur. Je check, et il lance à $25 que je call, sachant très bien que ce n’est pas une bonne idée, avec mon petit As, mais ayant un plan derrière la tête. La quatrième carte qui tombe, le turn, est un 10 non-cœur. La encore je check. Mon adversaire mise $30, et à nouveau, je call. Il y a maintenant prés de $150 dans le pot, et je me demande pourquoi je suis encore dans la main, et pourquoi j’ai même payer pour voir le flop. Un As comme le mien est bien souvent dominé. La river, la dernière carte, tombe. Je ne me souviens plus de ce dont il s’agit. Ce qui m’importe, c’est que c’est un cœur. Il y a 3 cœurs sur la table. Je réfléchis un instant, construit une pile de jetons, et avance $50 en face de moi. Je représente la couleur. J’agis comme si j’avais bêtement attendu un cœur en rajoutant l’argent que mon adversaire voulait que je mette dans le pot. Celui-ci réfléchit longuement. Je regarde le tapis, essayant de contrôler ma respiration, ne disant mot. Les secondes sont interminables. Je n’ai pas envie d’être démasqué, avec ma maigre paire. C’est quand je suis à bout de souffle que mon adversaire prend ses cartes entre son pouces et son index, me dis une dernière fois « I think you got there with your flush », et lance ses cartes en direction du milieu du tapis. Il révèle AQ, pour les deux tops pairs sur le flop. De mon coté, je lui lance un « Thank you » et montre mon As de trèfle à la table. Mon adversaire essaye tant bien que mal de garder son calme. Il est peu probable que je l’aurais battu si j’avais un As. Je ne lui montre pas ma deuxième carte. Seul un autre As pour le brelan constitue une main potentielle supérieure à la sienne.
Une des particularités des sessions pokers chez Chris, c’est d’être entouré de gens qui fument un peu de tout, dans un New York qui fait la chasse à la fumée. Des cigarettes bien sur, mais également des joints et autre moyens de se faire planer. Pendant que l’action se déroule, il y a toujours quelque chose qui tourne, ou un bong qui fait glouglou à un coin de la table. Même ne fumant pas, je sens bien que le fait d’être dans cet environnement fait son effet. Mes adversaires ont le regard vitreux, et l’un d’entre eux, particulièrement, ne se souviens jamais de ce que sont ses cartes quand c’est à lui de jouer.
Dans cette ambiance enfumée, les joueurs remettent de l’argent sur la table au rythme des all-ins qui s’enchainent. Certains joueurs ont des piles de jetons de plus de $600. Je reste pour ma part longtemps à peu de chose prêt des $300, jusqu’à ce qu’on me distribue une main fatidique : 72.
Autour des tables de poker, parfois, se joue un petit jeu dont le principe est le suivant : Si un joueur gagne une main avec un 7 et un 2 comme carte, tous les joueurs de la table doivent lui donner une grosse blind (ici, $3). C’est donc environ $24 qui arrivent, en plus du pot, dans les mains du joueur en question. Il est donc de coutume de jouer le 72 (« seven-deuce ») rapidement, c’est-à-dire de miser avant même de voir le flop, afin de faire se coucher tous les autres joueurs. Cette règle rajoute une variante intéressante, puisqu’évidemment on ne fait plus alors la distinction entre une main forte légitime comme une paire de Rois ou d’As, et la plus mauvaise main de départ au poker, le 72.
J’ai une bonne position, juste avant le dealer, quand on me distribue la fameuse combinaison. Quelques joueurs avant moi complètent la grosse blind avant que ce ne soit à moi de parler. Je mets $25. C’est assez pour éliminer la plupart des mains, mais pas assez pour éveiller les soupçons.
Seul Chris reste dans la main et aligne lui aussi $25. Il doit avoir de bonnes cartes, mais check sur le flop. Je me dis qu’il n’a surement pas touche le flop, et donc enchaine avec une mise de $30. La encore, il met la somme nécessaire au milieu du tapis. Sur le turn, il check encore et je check, sachant que j’affiche alors clairement que j’abandonne la main. La river tombe, il mise $30, je relance a $60, dernière tentative de le faire plier, mais il annonce all-in. Ca ne sert plus à rien d’insister de mon cote, et je finis par coucher ma main, me promettant, intérieurement, de ne plus jouer le 72. Je viens de perdre plus de $100 pour la perspective d’en gagner $24 de plus …
D’autres mains encore s’enchainent, je fluctue autour des $150 total. Je joue quelques bons coups dont je ressors assez fier, m’amusant beaucoup à la table.
Je travail le lendemain, bien sur, et doit me lever a 5h30 comme tous les jours. Il est 2h30 quand je décide enfin à prendre congé de mes adversaires. Je me lève de la table, et après comptage, j’ai gagné $73 ce soir la. Je repars donc gagnant. C’est déjà ca.
Mon niveau d’adrénaline est toujours à son maximum quand je me dirige vers la station de train, sous des trombes d’eau. Celui-ci prend un temps fou à arriver, au point que je suis sec quand il s’engouffre dans la station. Je me couche sur les coups de 3h30, les yeux grands ouvert. L’adrénaline du poker redescend petit à petit, mais il est déjà l’heure de se réveiller.